Développement cérébral:
Pour mieux comprendre et accompagner les enfants dans la gestion de leurs émotions, il me semble essentiel de connaitre la façon dont se développent les différentes formes de compétences dans le cerveau humain:
- De façon très schématique, on peut dire que celui-ci se divise en trois grandes zones -
- LE CERVEAU REPTILIEN (Cervelet) correspond à la partie archaïque du cerveau, situé à l’arrière du crâne, il permet toutes les fonctions vitales primaires (respirations, pression artérielle, rythme cardiaque, coordination, équilibre, sommeil…) et déclenche, face au danger des réactions physiques instinctives, impulsives (instinct de survie) et des réflexes d’attaques ou de fuites → Cette partie du cerveau est mature dès la naissance
- LE CERVEAU LIMBIQUE (ou cerveau émotionnel) permet la reconnaissance et l’évaluation de la valence émotionnelle, il a également une fonction essentielle dans la mémoire et les apprentissages. Il joue un rôle de régulation des instincts primitifs de survie, engendrés par le cerveau reptilien → il grandit essentiellement entre le 15 eme mois et les 4/5 ans de l’enfant, bien connecté vers 6/7 ans, et réellement mature qu’aux alentours de 15 ans.
- LE CERVEAU SUPERIEUR (ou néocortex) enveloppe le cervelet et le cerveau limbique et participe aux fonctions cognitives dites “supérieures”: conscience, langage, capacités d’apprentissage, perceptions sensorielles, commandes motrices volontaires, présence dans l’espace. Il se divise en quatre lobes: frontal, pariétal, temporal et occipital.
Le lobe frontal est particulièrement développé chez l’humain, il nous différencie des grands singes, en nous rendant “intelligent”. Il permet réflexion, raisonnement, créativité, imagination, résolution de problèmes, planification, conscience de soi, empathie. Il participe au contrôle rationnel des émotions en les réévaluant et en les tempérant → Celui ci ne sera vraiment mature qu’aux alentours de 25 ans.
Et oui, ne jamais perdre de vue que l’enfant n’est pas un adulte en réduction mais bien un être en construction,“les structures et les réseaux cérébraux [de son cerveau ne sont donc] pas encore suffisamment fonctionnels”. Son cerveau est alors “fragile, malléable, vulnérable et immature”. C’est pourquoi, ce que nous interprétons souvent comme des caprices ou des troubles du développement pathologiques chez les enfants sont en fait la conséquence de l’immaturité de leur cerveau. L’enfant se retrouve régulièrement en proie à de véritables“tempêtes émotionnelles” qui le submergent et qui donnent lieu à des comportements impulsifs/réflexes initiés par le cervelet (cerveau reptilien/archaïque) seule partie mature de son cerveau.
Ce n’est que vers l’âge de “5/6 ans, [que] l’enfant commence donc à contrôler un peu mieux ses émotions négatives, à comprendre leurs causes et à savoir les surmonter” … (C. Gueguen)
Lorsque l’enfant n’est pas consolé, rassuré, pris en compte dans son émotion, son cerveau va sécréter de façon excessive des molécules de stress (cortisol, adrenaline…) extrêmement toxiques pour son cerveau en développement. C’est pourquoi, il est particulièrement important de faire preuve d’empathie. Envers soi même d’abord (sentir et comprendre nos propres émotions) et envers son enfant (entendre, ressentir, comprendre ses émotions):
- Exprimer ses émotions est toujours bénéfiques (exprimer ses émotions négatives contribue à apaiser la sécrétion de molécules de stress, par l’amygdale cérébrale, qui est le centre de la peur)
- Exprimer ses propres émotions devant son enfant
- Aider l’enfant à exprimer ses émotions et à les reconnaitre
” Consoler un enfant ‘chamboulé’ participe à la maturation de son cerveau “… (C. Gueguen)
Plasticité cérébrale: (vidéo en fin d’article)
On sait aujourd’hui que le développement du cerveau (qui est plastique) évolue, se modifie en fonction des expériences vécues par le sujet et ce de façon particulièrement accrue pendant les 6/7 premières années de vie. On a pu découvrir, très récemment que l’expression des gènes était elle-même influencée par l’environnement (l’ensemble de nos comportements quotidiens), c’est ce que l’on appelle l’épigénétique.
C’est la raison pour laquelle il est essentiel de favoriser les bonnes expériences relationnelles dans les premières années de vie de l’enfant pour lui permettre de développer “une intelligence émotionnelle et sociale”et pour lui éviter “des perturbations physiologiques cérébrales et même structurelles, qui lorsqu’elles sont installées, sont souvent à la base de difficultés affectives durant l’enfance, l’adolescence et à l’âge adulte” * (C. Gueguen)
Lorsque l’enfant n’est pas reconnu dans ses émotions, qu’on lui interdit de les exprimer, il va se couper de celles-ci , se “déconnecter” de ses ressentis pour éviter de souffrir. Il risque alors de ne pas développer de façon satisfaisante les connexions cérébrales nécessaires à la maîtrise de ses émotions. En grandissant, il risque alors de rencontrer des difficultés à “comprendre et maitriser ses émotions”, d’être “sujet à des crises d’angoisses, d’agressivité ou de dépression”, d’être “incapable de lier des liens d’affections” satisfaisant, d’être “incapable d’éprouver de la compassion pour autrui”…
[Une étude de 2011 proposé par Emil Coccaro, professeur de psychiatrie à l'université de Chicago a clairement mis en évidence un lien entre adultes violents et cortex préfrontal hypoactif ] .
La répétition de l’activation des bons, ou des mauvais circuits cérébraux va alors avoir un effet vertueux, ou vicieux sur le développement de l’enfant…
Qu’appelle t-on “émotions”:
Il s’agit d’abord d’une manifestation interne qui va ensuite générer une réaction extérieure automatique.Les émotions primaires ou émotions de base sont la joie, la peur, la colère, la tristesse, la surprise et le dégoût. Ces émotions permettent de nous renseigner sur notre état et de nous guider vers la satisfaction de nos propres besoins. Elles ont aussi une fonction de signal social en nous permettant de communiquer aux autres notre état intérieur.
Les émotions “désagréables” sont souvent dévalorisées, vécues à tord comme des faiblesses ou des obstacles par rapport à la raison. Or, sans émotions nous ne pouvons pas fonctionner: nos décisions ne sont jamais entièrement rationnelles mais toujours orientées, dictées par nos émotions (même si nous n’en avons pas toujours conscience).
D’autre part, il n’existe pas de bonnes ou de mauvaises émotions: les émotions sont toujours légitimes et indispensables (ex: la peur va nous informer d’un danger, le cerveau va alors sécréter des hormones de stress cortisol, adrénaline ce qui va nous permettre d’accroitre notre niveau de vigilance, de courir plus vite… )
En outre, sans émotions: l’art n’existerait pas (littérature, musique, peinture…) et les apprentissages seraient inopérants…
Comment aider son enfant à gérer ses émotions?
Le but n’est pas de stopper la crise émotionnelle mais de l’accompagner. Toutes les colères sont légitimes, elles ne sont jamais volontaires ni préméditées (l’enfant ne fait pas une colère, il est en colère). Il est important que l’émotion puisse s’exprimer, être reconnue et acceptée par l’adulte. L’enfant a parfaitement le droit d’être en colère, d’avoir peur, d’être triste… C’est en apprenant à nos enfants à vivre avec leurs émotions (et non à les réprimer) que nous leur permettons de développer leur intelligence émotionnelle, qui correspond à « l’habileté à percevoir et à exprimer les émotions, à les intégrer pour faciliter la pensée, à comprendre et à raisonner avec les émotions, ainsi qu’à réguler les émotions chez soi et chez les autres » (Mayer & Salovey, 1997).
CE QU’IL FAUT ÉVITER: (inefficace et contre-productif: aggrave l’intensité de l’émotion et génère une libération excessive de molécules de stress)
- Nier l’émotion ou la minimiser
- Culpabiliser: “tu n’as pas à être en colère!” “ce sont les bébés qui pleurent pour ça…”
- Donner des conseils ou faire la morale
- Contagion émotionnelle: répondre à la colère par la colère (petit problème de cohérence…)
CE QU’IL FAUT PRIVILÉGIER:
- Se connecter à l’émotion: il s’agit d’abord de se brancher, se connecter à l’émotion de l’enfant sans en avoir peur et sans la prendre pour la nôtre: dans le contact mais en silence.
- Pratiquer le “reflet émotionnel”: puis poser des mots en reflétant l’émotion que vit l’enfant: “je vois que tu es colère et que c’est compliqué pour toi. Je comprends que ce soit frustrant de devoir attendre ton tour…” Eviter tout jugement ou commentaire.
- Proposer des outils: pour créer une médiation entre l’enfant et son émotion, pour lui permettre de mettre un peu de distance entre l’émotion et sa réaction:
- Le coin à émotions: un gros pouf (type poire) pour permettre à l’enfant de se lover dedans pour retrouver une certaine unité, contenance ; une table et chaise avec des feuilles à disposition pour que l’enfant puisse exprimer son émotion à travers le dessin (dessin de la colère) …
- Le sac à émotions: pour permettre à l’enfant d’y déposer symboliquement sa colère/tristesse au moyen de petits objets symboliques représentant chaque émotion et préalablement réalisé ou du moins investi par l’enfant.
- Le sac à cris: proposer à l’enfant de crier devant un petit “sac à cris” pour y mettre sa colère et l’aider à contrôler ses cris. Il a le droit de crier, mais on lui propose une autre façon de le faire en redirigent ses cris, sa colère “dans” le sac. Cela peut aussi s’envisager avec “une cabane à cris”un lieu préalablement choisi avec l’enfant, dans lequel il est libre de crier comme il le souhaite…
- Les plumes ou la paille: l’interêt est de permettre à l’enfant de souffler pour l’aider à mieux respirer. La respiration lui permettant de s’apaiser. Il s’agira soit de souffler sur des plumes, soit de souffler dans une paille plongée dans un verre d’eau… (ex: pour les plumes: on peut proposer à l’enfant de créer un “bonhomme en colère” qu’il pourra nommer du nom de son choix avec une boule de polystyrène, un visage mécontent dessiné dessus et des plumes plantées au sommet de la tête, et dont il pourra se servir librement lors de ses colères)
- Le coussin de colère: l’enfant a le droit de le taper, de le mordre, de le jeter… pour évacuer ce tsunami émotionnel qui le submerge.
- Le punching-ball: sur le même principe que le coussin, il va permettre à l’enfant de décharger ses tensions. On lui indique qu’il a le droit de taper (mais seulement sur le punching ball).
- La balle anti-stress DIY: même objectif, elle permet à l’enfant de la serrer très fort, de diriger toute sa colère sur cette balle. (Très simple à réaliser à l’aide de 2 ballons de baudruche et un peu de riz: on découpe l’extrémité des ballons/on forme une boule de riz que l’on enferme dans un petit sac de congélation/on insère le sac de riz dans le premier ballon que l’on recouvre ensuite par le second. Il ne reste plus qu’à dessiner une tête en colère)
Pour les enfants un peu plus âgés, on peut leur proposer des outils pour leur permettre davantage d’identifier et de nommer leurs émotions et leurs sentiments:
Enfin, une méthode fabuleuse pour aider les enfants à vivre avec leurs émotions et à apprendre à les accepter et à mieux les maitriser: LA MEDITATION. Un super ouvrage: “calme et attentif comme une grenouille”.
→ Il est possible d’inventer et de réaliser toute sorte d’outils avec les enfants, ensuite, à chacun de trouver celui ou ceux qui conviendront le mieux …
* NB: Rassurez-vous, par le fait même de cette plasticité cérébrale, il est possible de corriger par la suite d’éventuelles carences ou difficultés rencontrées dans la petite enfance, si celles-ci n’ont pas été trop importantes et n’ont pas duré trop longtemps. Rien n’est figé, le cerveau est un organe plastique, modifiable jusqu’à la fin de nos jours…
Une superbe vidéo, proposée par Céline Alvarez permet de mieux comprendre cette notion de plasticité cérébrale:
- “Pour une enfance heureuse”, C. Gueguen, Ed. Robert Laffont (désormais disponible en format de poche)
- Conférences proposées par C. Gueguen: “enfant et apprentissage”; “Empathie et neurosciences affectives et sociales”; “Pour une parentalité sans violence”; “Ce que nous apprenne les recherches en neurosciences sur le développement émotionnel et affectif de l’enfant”.
Photo d’illustration trouvé sur le site “parentstakecharge.com”